Biographie sensible et artistique d’une icône

Rita Hayworth, de Gaël Lépingle,
Les éditions de l’œil, 2022

Dans ce joli petit livre à la couverture flamboyante (hommage à la chevelure inimitable de l’actrice qu’il présente ?), le réalisateur et metteur en scène Gaël Lépingle nous invite à faire connaissance avec une des plus grandes stars d’Hollywood, à l’époque de son âge d’or : Rita Hayworth (1918-1987), l’American love goddess des années 1940.

Depuis le choc esthétique et émotionnel que représenta Gilda lorsque je le vis pour la première fois, cette actrice est l’une de mes préférées. Son image radieuse, glamour, orne mes murs en grand format, m’accompagne, m’inspire. Une image patiemment et douloureusement construite, et ensuite écornée par un vieillissement prématuré, l’alcoolisme et surtout la maladie. Rien de tout cela cependant n’a pu affaiblir ma fascination ; la réalité demeure impuissante devant le mythe. J’appréhendais donc un peu la lecture de cet ouvrage, comme toujours lorsqu’il s’agit d’un sujet que je connais assez bien. J’ai cependant été agréablement surprise : le propos est intelligent, étayé, sensible. L’auteur évite les jugements à l’emporte-pièce, les poncifs ou les analyses anachroniques qu’on entend trop souvent désormais, et livre une étude stimulante des films de l’actrice en parallèle d’un récit concis mais complet de sa vie personnelle.

Après être revenu sur l’enfance difficile de Marguerita Cansino, très tôt exploitée et abusée par son père, Gaël Lépingle peint la transformation de la starlette en star, sous la férule de son agent de mari, lequel est hélas quasiment un double de son père. Changement de nom, transformation physique et interventions de chirurgie esthétique, régimes, entraînement intensif, Rita ne connaît aucun répit. Ses qualités remarquables de danseuse et son énergie solaire la propulsent parmi les meilleures actrices de comédies musicales, et elle triomphe dans six films du genre, parmi lesquels You Were Never Lovelier (William A. Seiter, 1942), aux côtés de Fred Astaire, ou Cover Girl (Charles Vidor, 1944), avec Gene Kelly. Érigée en pin-up absolue des GI durant la Seconde Guerre mondiale par le biais de photos publiées à longueur de temps dans les magazines, elle devient, avec son rôle mythique dans Gilda (Charles Vidor, en 1946), l’incarnation de la femme fatale glamour. Elle a même l’honneur douteux de voir le nom de son personnage donné à la bombe thermonucléaire lancée par l’armée américaine sur l’atoll de Bikini dans le cadre d’essais… Rita Hayworth, bombe du grand écran, entre dans l’imaginaire collectif comme un sex-symbol en fourreau noir (créé par Jean-Louis Berthault, dit Jean Louis, génial pourvoyeur de costumes à Hollywood).

Rita Hayworth dans la légendaire scène du striptease du gant (Gilda, Charles Vidor, 1946).

Tandis que le second mariage de la star, avec Orson Welles, est un échec, le film que ce dernier tourne avec elle ajoute une pierre au monument : The Lady From Shanghai (1948), même s’il a fait un flop à l’époque, est cher à de nombreux cinéphiles. L’actrice devenue blonde (pour casser son image ?) y est magnifique, notamment dans la scène du palais des glaces. Le cri et le regard désespérés d’Elsa Bannister, blessée, condamnée à mourir, sont inoubliables.

Rita quitte ensuite Hollywood pour devenir la femme d’un prince (Ali Khan, qu’elle épouse en 1949), mais l’histoire n’a rien d’un conte de fées. Suite au naufrage de cette troisième union, elle retrouve les plateaux en 1951 et tourne plusieurs films, de qualité inégale, qui exploitent ostensiblement la légende tissée dans les années 1940 mais révèlent aussi, parfois, son réel talent d’actrice. Ainsi de son rôle dans Miss Sadie Thompson (Curtis Bernhardt, 1953), où l’actrice, qui apparaît ostensiblement plus vieille, moins parfaite physiquement, semble emprunter une nouvelle voie et trouver un second souffle.

Cependant, la désaffection du public se fait sentir ; l’époque et les mentalités ont changé, les idoles d’hier sont vite remplacées. Marilyn Monroe est la nouvelle grande star sexy, parmi tout un sérail d’actrices glamour, telle Kim Novak, avec qui Rita Hayworth tourne Pal Joey (George Sidney, 1957). Le film illustre assez cruellement le remplacement de l’ancienne maîtresse/star par la nouvelle, jeune, fraîche, pure – la morale réactionnaire et le machisme ont fait un retour en fanfare dans les années 1950. À compter de la fin de cette décennie, Rita Hayworth ne joue plus que des rôles secondaires, même si son nom continue d’être mis en avant dans les films. Sa vie privée chaotique, marquée par l’alcoolisme et les débuts de sa maladie, non encore diagnostiquée (elle ne le sera qu’au début des années 1980 : maladie d’Alzheimer) mais qui entraîne des troubles du comportement, nuit également à sa carrière. Hollywood prend plaisir à la réunir à l’écran avec ses anciens partenaires de la grande époque, comme Glenn Ford, qui, semble-t-il, demeure un ami fidèle, tout en la cantonnant à des rôles qui soulignent sa déchéance. On frôle le sadisme. Elle a toutefois encore quelques occasions d’affirmer son talent, par exemple dans Circus World (Henry Hathaway, 1964) ou Road to Salina (Georges Lautner, 1970).

L’auteur narre sobrement les dernières années de cette vie extraordinaire et cependant malheureuse, sans tomber dans un pathos larmoyant ni dans un voyeurisme de mauvais goût, ce dont on lui sait gré.

Fred Astaire et Rita Hayworth pendant le tournage de You Were Never Lovelier (William A. Seiter, 1942).

En somme, je recommande la lecture de ce petit livre assez richement illustré, même si quelques coquilles et erreurs factuelles qui auraient pu être évitées par une correction attentive m’ont parfois contrariée. Il constitue une excellente introduction pour ceux qui ne sauraient rien de la vie et de la filmographie de cette actrice, et invite les admirateurs de toujours, dont je fais partie, à revoir ses films en posant sur eux un regard nourri de nouvelles connaissances.

Pour un aperçu de l’intérieur de l’ouvrage, cliquez ICI.

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