Petit manuel de désobéissance civile

Lydie Salvayre, Depuis toujours nous aimons les dimanches, Seuil, 2024

Lydie Salvayre adore les satiristes classiques et cela se sent plus que jamais dans l’essai récemment paru. Si l’on commence sa lecture par un texte empreint de lyrisme, où s’évoque en douceur l’enfance – époque bénie où l’on échappait encore au travail et à l’injonction de productivité –, on bascule assez vite dans une sorte de réquisitoire enlevé contre une certaine idéologie contemporaine de la « valeur travail », selon l’expression reprise à bouche que veux-tu par le personnel politique, et hélas devenue la doxa de nos sociétés occidentales, le bourrage de crâne fonctionnant à merveille. On flirte avec le pamphlet et sa langue vigoureuse, par exemple, p. 28 :

Alors, ces dépouilleurs de pauvres, ces cleptocrates, ces spoliateurs qui ont pognon sur rue (Salvayre) et que dans notre jeunesse nous qualifiions de porcs, de requins, d’enflures ou de raclures de bidet, ces apologistes-du-travail-des-autres s’emploient avec une détermination rare à nous convaincre des immensissimes bienfaits du travail, en exhibant des chiffres vérifiés par l’Institut international de sciences économiques, et faisant déverser sur nos têtes les laïus de leurs experts sagacissimes, éminentissimes et extrêmement télévisuels, dont la seule fonction est d’injecter leurs menteries dans nos cervelles sans défense.

Cette attaque en règle s’accompagne d’une apologie énergique de la paresse, que l’autrice ou plutôt le narrateur à la première personne du pluriel prend soin de définir à plusieurs reprises (par ce qu’elle n’est pas – la paresse défaut-péché brandie par certains comme un épouvantail – et par ce qu’elle est – une forme de présence au monde, à soi-même, de sagesse, de courtoisie, etc.). Soit dit en passant : qu’il est agréable de lire des gens qui savent de quoi ils parlent, conçoivent clairement les choses et emploient sûrement les mots, à l’inverse de nombre de journalistes, figures politiques, et de la majorité de la population, qui semblent se complaire dans la reprise de termes et concepts aux contours indéfinis, auxquels ils ne prennent pas la peine de songer avant que de les employer.

Reprenons.

Dans sa langue savoureuse qui mêle joyeusement les registres et les tons, Lydie Salvayre peint le tableau de notre société égarée dans les fausses valeurs et vraies plaies promues par une élite soucieuse d’accroître ses privilèges en exploitant le bétail humain. Bétail, outil, consommateur, c’est en effet ce que nous sommes devenus, dans un système qui prétend que le travail est une exigence morale, économique et sociale, une nécessité absolue, et méprise la liberté de penser, d’être soi, et de cultiver son jardin, son esprit, son corps – son humanité. Travailler plus pour gagner plus pour consommer plus pour enrichir plus les nantis. Et se retrouver épuisé, incapable de faire quoi que ce soit de vraiment important pour son être profond, aigri, déprimé, abêti et usé.

Démontant brillamment le discours propagé depuis deux siècles (disons : depuis le début de la révolution industrielle) comme un virus par les tenants du pouvoir économique et politique, et quelques penseurs dont on aurait souhaité qu’ils meurent en jeune âge de quelque maladie plutôt que d’émettre leurs théories assassines (c’est moi qui parle, pas l’autrice), Lydie Salvayre ouvre grand les portes d’une réflexion politique au sens étymologique et humaniste, convoquant à ses côtés des poètes et écrivains, comme Rimbaud, Baudelaire, Lafargue (évidemment !) ou encore Rabelais, à qui elle laisse le mot de la fin ; des philosophes, comme Fourier et Nietzsche ; des théoriciens et hommes politiques comme Blanqui ; des touche-à-tout comme Bertrand Russell ou l’inimitable Guy Debord, et tant d’autres ! Ils forment un réseau dense et séculaire de champions contre l’asservissement (moral, physique, intellectuel, social…) de l’homme et pour la prise en compte de sa liberté fondamentale et de son droit d’exister, vraiment, pleinement. Ils paraissent faire partie de ce « nous » que l’autrice emploie tout au long du texte, non pas un nous de majesté, ni de modestie, mais un nous généreux, distinct de Lydie Salvayre (qui d’ailleurs fait irruption dans le texte comme si elle était une voix extérieure venant parfois mettre son grain de sel dans le propos), invitant tous ceux qui partagent sa vision du monde et de l’humanité, et emporte, et soulève, un « nous » qui tantôt se fait bretteur, tantôt libelliste, tantôt taquin, joueur, moqueur. L’énergie qui infuse l’intégralité du propos se déploie contre un « vous » représentant ceux que l’autrice appelle les « apologistes-du-travail-des-autres », lesquels ne manquent pas de s’en prendre plein les dents, et parfois dans une langue verte et fleurie des plus réjouissantes (on admirera la capacité de Lydie Salvayre à donner l’impression de la spontanéité, du coup de sang, de l’indignation).

Finalement, en parfaite cohérence avec cet essai plein d’espoir et sans doute utopiste – mais, comme l’autrice l’écrit (p. 79), n’en déplaise aux grands patrons, gouvernants et autres économistes arc-boutés sur leurs certitudes délétères et leurs acquis, l’utopisme n’est pas un défaut ou un gros mot, non, c’est une formidable occasion de rêver l’avenir et, parfois, d’ouvrir une nouvelle voie –, le « nous » qui s’exprime dans ces pages offre une sorte de programme révolutionnaire (mais pacifiste et doux) qu’on pourrait dire d’insoumission et de rébellion socio-professionnelles. On notera l’usage optimiste du futur, non du conditionnel, et du présent dans ce manifeste dont l’autrice désamorce le sérieux par moult saillies drolatiques et une bonne dose d’autodérision. Carpe diem ! en somme, non d’une manière égoïste propre, précisément, au modèle capitaliste libéral, mais en philosophe éclairé et se connaissant soi-même. Le texte nous invite à repenser nos vies souvent misérables car aliénées, à nous libérer de la (sur)consommation presque imposée depuis deux ou trois décennies à nos pauvres esprits dès l’enfance, et à retrouver le plaisir vrai et vital de réfléchir, rêver, muser, d’être dans notre corps aussi, un corps qui ne devrait pas être perpétuellement épuisé, et de lire, lire, et encore lire, pour renouer avec l’infini champ des possibles qu’offre cette activité. Parmi de nombreuses citations que j’aurais pu faire ici, en voici une (p. 19-20) :

Nous aimons arracher ce mouchoir de dégoût que le travail contraint nous enfonce dans la bouche,
et nous délester des corsets qui nous enserrent et nous étouffent mais auxquels nous nous croyons stupidement soumis,
Nous aimons avoir au cœur la joie de se délier, de se déconnecter, de se désencombrer, de se déprogrammer, de se désaveugler, de se désharnacher, de se désentraver des liens que l’on maintient par lâcheté, par habitude ou par veulerie,
puis, grâce à cette décoïncidence, trouver justement la meilleure adéquation entre soi et soi, et une meilleure appréhension du monde.
Autant de choses qui s’apprennent,
autant de choses à oser,
et qui demandent juste une once de courage.

Car vous l’avez compris, dans la situation actuelle, paresser c’est désobéir […]

Commencez donc par lire cet essai et, comme moi, voyez s’il ne vous incite pas, alors que vous hésitiez encore, à changer d’existence et à devenir des anarchistes tranquilles mais obstinés, qui refusent de continuer à vivre en zombie, les yeux et le cœur fermés, le corps mort, et l’âme confisquée.

Trafic, corruption et destruction dans l’Argentine contemporaine

Eugenia Almeida, La Casse, Métailié, 2024

Reçu dans le cadre de masse critique (sorte de concours organisé sur le site Babelio), ce roman constitue ma première rencontre avec l’autrice argentine Eugenia Almeida. Ayant à la fois un fort tropisme pour la culture et la littérature latino-américaines et une appétence pour les romans noirs ou marqués par la violence ordinaire contemporaine, j’ai été tentée par ce livre, et n’ai pas été déçue. La construction en est soignée, l’univers, maîtrisé. Le style de l’autrice (pour autant qu’on puisse en juger à travers une traduction) est résolument contemporain, phrases courtes et souvent averbales, fréquentes asyndètes, etc. Le roman, constitué de chapitres très brefs qui reflètent le rythme haletant de l’action, est bâti en grande partie sur des dialogues, et non une narration classique. On pénètre les lieux (une ville et ses quartiers plus ou moins mal famés, des habitations, une casse, un poste de police) par le biais des personnages et de leur regard plus que par des descriptions. De même, on comprend peu à peu ce qui se trame à travers leurs discussions. Pourtant, on ne peut dire que ce roman est théâtral ; il serait plutôt cinématographique.

Durant toute la première moitié du livre, l’autrice met les choses en place, patiemment, tissant les fils d’une toile qui, par sa complexité, rappelle à la fois la toile mafieuse et le tissu social qui sont au cœur de l’histoire. On est d’abord un peu perdu, le premier chapitre, notamment, commençant in medias res. Le lecteur doit s’efforcer de comprendre qui est qui, qui fait quoi. Cette mosaïque de voix est un bon miroir des existences souvent anonymes qui font, par leur accumulation, une ville moderne ; des truands, des bourgeois, des politiques, des policiers, des couples et des gens seuls, des destinées apparemment fort éloignées mais qui finissent par se croiser et, parfois, se mêler, pour le pire plutôt que le meilleur dans l’univers fort sombre d’Eugenia Almeida.

Une fois le cadre et les personnages posés, à peu près au milieu du roman, l’événement majeur, nœud et apogée de l’action tout à la fois, survient. Il y a une indéniable dimension tragique dans la manière dont le cours des événements mène inéluctablement à ce drame. L’un des personnages, fort lucide, résume assez bien la situation (et la construction du livre !) quand il explique à un jeune voyou qui n’a pas encore compris comment fonctionnait le monde très organisé dans lequel il pense pouvoir jouer un rôle : « Tôt ou tard, tu feras un truc, un truc qui te semblera peut-être innocent. Et ce truc va déclencher toute une série de malheurs. » Tout le roman consiste à cela : montrer comment un geste presque insignifiant, en tout cas, un délit sans gravité intrinsèque, conduit, par une sorte de mécanique fatale, à une catastrophe aux répercussions nationales.

Commence alors la seconde partie du roman, si l’on peut dire, qui est une course à l’abîme : dans un tourbillon vengeur, les morts se succèdent, c’est l’hécatombe, et l’autrice d’éclairer plus vivement ce qui unit les personnages, ainsi que les dessous peu reluisants d’une hiérarchie du crime qui, de la tête de l’État aux quartiers déshérités, fait des êtres des pions dont on se débarrasse sans états d’âme. On observe avec un réel intérêt l’engrenage qui broie les personnages, et ce qui aiguillonne les uns et les autres : cupidité, soif de pouvoir, vengeance, jalousie, bêtise… Autant dire que rien n’est gagné pour les quelques personnages honnêtes, bienveillants et innocents que l’on croise dans cette ville malade. Je mentionnerai pour finir une des réussites de l’autrice dans cette partie : sa façon de jouer assez finement sur la manière dont les faits (connus du lecteur) sont transposés dans le discours des médias, de manière édulcorée, mensongère ou lacunaire, volontairement – ne pas relier les événements permet d’épargner les autorités et de taire le caractère systémique du problème –ou par méconnaissance de l’ensemble du tableau.

En somme, Eugenia Almeida est indéniablement douée pour bâtir une intrigue solide, créer des personnages à la fois typiques et néanmoins dotés d’une épaisseur psychologique. Elle peint à grands traits des destins réalistes sous ces oripeaux fictifs. C’est sans doute un des points forts de ce livre, qui offre un réquisitoire contre la corruption gangrenant une partie de la vie politique et sociale argentine (mais pas seulement…). Le fait que certaines zones troubles le demeurent est à mon sens une autre qualité, de même que le refus des explications faciles et de la morale toute faite. Évidemment, ceux qui cherchent un happy end ou des lendemains qui chantent pour les gentils n’y trouveront pas leur compte… Comme dans la vraie vie ?

Découvrir Ovidie en ses mots

La chair est triste hélas d’Ovidie, Julliard, 2023

Je le confesse, j’avais d’Ovidie une image préconçue, tirée d’on ne sait où (je ne l’ai jamais entendue parler, n’ai jamais vu ses films ou documentaires, et, jusqu’à ce jour, ne l’avais jamais lue). Son nom circulait dans les médias, j’ai probablement entendu ses partisans et détracteurs la mentionner quelquefois, et cela a suffi pour que je me la représente comme une ex-actrice porno féministe au parler cru, ennemie de l’amour tel que je le conçois et des hommes. En somme, quelqu’un qui a priori ne m’intéresse pas et que je n’ai jamais eu envie de découvrir. C’est fou comme on disqualifie vite les gens, n’est-ce pas ?

Pour mon anniversaire, cette année, on m’a offert La chair est triste hélas. J’étais un peu dubitative, et il a attendu trois semaines sur ma pile de livres à lire, dans mon salon, jusqu’à ce que, ce dimanche 25 février, je décide d’en faire ma lecture du jour.

À peine avais-je lu quelques pages que j’étais obligée de réviser mon jugement. Certes, je ne partage pas toutes les idées d’Ovidie, c’est le moins que l’on puisse dire. Sa propension à assener des affirmations péremptoires et à en tirer des conclusions sans appel, sur les hommes et l’hétérosexualité, me hérisse. Ainsi quand elle écrit :

Hop, tous dans le même sac. Je ne peux m’empêcher de trouver cela excessif, de même que je juge insupportable les assertions si répandues dans notre société qui mettent toutes les femmes dans le même panier. Ovidie juge en fonction de son vécu et des réflexions qu’elle en a tirées, et c’est évidemment son droit, mais si je fais de même, je ne parviens pas à un constat aussi absolu. Je m’interroge alors : n’a-t-elle pas eu de chance avec les hommes, ou plutôt, car ce n’est jamais vraiment une question de « chance », n’a-t-elle, pour une raison difficile à éclaircir, attiré et été attirée que par des hommes de ce type ? Je ne nie pas leur existence, j’en ai pour mon malheur connu, car visiblement ils m’attirent moi aussi, sur un plan inconscient bien sûr, mais je ne crois pas que l’intégralité de la gent masculine fonctionne sur ce mode univoque.

D’autres remarques ne m’ont pas tant énervée qu’attristée, par leur nature désespérée, comme lorsqu’elle évoque cette peur d’être violée dans son sommeil – car elle l’a déjà été. Ou encore, quand, après avoir dépeint un monde des relations hétérosexuelles particulièrement navrant, elle explique :

Je pourrais avoir écrit cette phrase, mais à propos des interactions professionnelles et sociales, et non de la relation amoureuse. Le dégoût de la société dans laquelle je vis, avec ses valeurs si éloignées des miennes, sa laideur, sa violence et sa bêtise, m’ont depuis longtemps poussée à une forme de repli dans un univers qui m’est particulier mais où, hélas, je suis bien seule. J’y vois un échec, un choix par défaut, une solution de survie, mais certainement pas un état enviable.

Passons.

Malgré ce qui me paraît donc parfois excessif et biaisé dans l’argumentation, j’ai apprécié l’intelligence indéniable de l’autrice, par exemple, quand elle analyse finement les rapports qui régissent les relations entre les femmes elles-mêmes, entre soutien, jalousie et rivalité, ou dresse le tableau peu reluisant de la situation sociale et professionnelle des femmes, jugées selon des critères ineptes et qui ne sont pas appliqués aux hommes. J’aime sa façon d’aborder des dizaines de sujets au fil de sa pensée, avec toujours un point de vue incisif, qu’on peut vouloir contester, mais qui n’est jamais fondé sur du vent. Elle parle de ce qu’elle connaît. On ne peut pas en dire autant de tout le monde… Admirable aussi, son aptitude à l’introspection et à l’autoréflexion, que je connais parfaitement : je fonctionne de la même manière, m’observant autant que j’observe les autres, bizarre anthropologue perpétuellement sur le qui-vive. Grâce à tout cela, le livre est extrêmement stimulant et suscite un véritable feu d’artifice dans le cerveau du lecteur. Comme toujours lorsqu’un ouvrage m’intéresse, j’ai éprouvé l’envie de parler à l’autrice, de débattre avec elle de ces questions de la féminité (construite par et pour les hommes ?), de la séduction, du désir, du besoin de contact physique, du rapport corps-esprit, etc. Confronter nos points de vue en respectant celui de l’autre. À défaut de pouvoir le faire, j’argumentais et contre-argumentais mentalement, au fil des pages. Oui, parfois, le dédoublement de personnalité me guette.

Ovidie expose sa façon de voir et de vivre les choses, quelque peu brutalement, sans se préoccuper de plaire ou de persuader par une rhétorique subtile. Elle nous oblige à sortir de notre zone de confort (si l’on n’est pas, a priori, du même avis qu’elle), ce qui est toujours salutaire sur le plan intellectuel. Et puis, il est apparu que même dans un discours apparemment fort éloigné du mien, il existe des points de rencontre. Des phrases dont je me suis dit : oui, c’est exactement cela, ou dans lesquelles je me suis reconnue, comme lorsqu’elle écrit, lucide et désabusée :

Sans doute est-ce une dérive narcissique : je trouve agréable de me reconnaître dans un écrit ; j’y vois aussi, plus généreusement, le réconfort qu’on trouve à prendre conscience qu’on n’est pas seul à éprouver ou vivre ou penser telle ou telle chose. Sa vision de l’amour, du sentiment ou plutôt de l’état amoureux, à ma grande surprise, est ainsi extrêmement proche de la mienne ; la seule différence (majeure) est qu’elle le fuit, faisant preuve finalement d’un sain instinct de conservation, tandis que j’y aspire toujours, comme une héroïne romantique ou fin de siècle incapable de se délivrer d’un charme morbide auto-infligé. Son approche du suicide aussi concorde avec la mienne. Et puis, elle cite à ce sujet mon cher Jacques Rigaut, c’est un signe !

Notons pour finir que le style de l’autrice est fort à mon goût, et que le travail d’édition et de correction du texte a été soigné, ce qui est de plus en plus rare. Les trois derniers romans que j’ai lus, publiés par de grandes maisons (Grasset, Christian Bourgois et le Seuil), étaient truffés de fautes, de mots manquants, d’erreurs typographiques, et souffraient visiblement d’un manque de travail éditorial – ou d’un correcteur peu doué. C’est une tendance générale, depuis des années. Or, ici, divine surprise : le texte est propre (c’est-à-dire, bien édité et corrigé), presque aucune erreur n’interrompt la lecture, on n’a pas le sentiment d’un travail bâclé. Cela devrait être la norme, me direz-vous, mais, croyez-moi, cela devient l’exception. Merci donc aux éditions Julliard !

En somme, je recommande vivement la lecture de cette chair indubitablement triste mais savoureuse pour qui s’intéresse à la sexualité, aux relations amoureuses et, plus généralement, à l’évolution de notre société. Les amateurs de récits à la première personne seront également ravis par cette subjectivité franche et assumée. Ce livre rappelle que l’écriture peut être l’occasion d’un dialogue, par-delà les murs de la solitude plus ou moins consentie qui nous tient captifs.

Dans les coulisses d’une histoire américaine : le strip-tease

Striptease, from Gaslight to Spotlight, de Jessica Glasscock, Harry N. Abrams, 2003

Striptease. Dans l’imaginaire contemporain, ce mot peut être associé : aux clubs déprimants ou même franchement sordides où vont les hommes pour boire et reluquer des femmes plus ou moins refaites et plus ou moins obligées de flirter avec la prostitution ; à des scènes érotiques valorisées (ou parodiées) par le cinéma ; ou encore, chez les plus informés, à l’art de l’effeuillage burlesque revenu en grâce depuis les années 1990 aux États-Unis et 2000 en France.

J’ai depuis plus de vingt ans un goût très vif pour le burlesque, entendu au sens américain de spectacle à la longue histoire mettant en scène de jolies (enfin, pas forcément) femmes dans des numéros tour à tour comiques, espiègles, élégants, destinés à titiller les spectateurs. Précisons en passant que les hommes aussi, bien sûr, proposaient des performances dans le burlesque originel, mais elles étaient d’un autre type. Il ne s’agissait pas pour eux d’aguicher le public ou de dénuder leur corps. Cet intérêt m’est venu assez naturellement étant donné mon attachement à l’histoire des grandes courtisanes et demi-mondaines du XIXe siècle, et ma passion précoce pour Dita von Teese, devenue, depuis, une icône absolue pour les amateurs de glamour, de mode rétro et… de burlesque.

Le livre qui nous occupe aujourd’hui se concentre, comme son titre l’indique, sur le strip-tease. Il se distingue par son illustration remarquable, son écriture plaisante et son propos étayé par de solides recherches. Publié en 2003, il s’arrête à l’aube du renouveau du burlesque, sous le nom de New Burlesque ou néo-burlesque en France, dont il cite quelques acteurs ou plutôt actrices, parmi lesquelles Dita von Teese et la talentueuse Catherine D’Lish, qui ont depuis continué de collaborer pour mettre en scène les plus beaux spectacles de burlesque qui soient, ou encore Dirty Martini, connue de tous les amateurs du genre.

Hurly-Burly Extravaganza and Refined Vaudeville, 1899. © Theatrical Poster Collection, Library of Congress, Washington, D.C. (LC-USZC2-1387)

Mais reprenons les choses dans l’ordre. Au commencement étaient les routines (numéros) du milieu du XIXe siècle, qu’on jugerait aujourd’hui fort innocentes, dans lesquelles des femmes provoquaient le public, par leur tenue ou leur jeu. La Britannique Lydia Thompson fait figure de pionnière, qui introduisit le burlesque victorien aux États-Unis avec sa troupe des British Blondes. D’autres pratiquaient une danse informelle connue sous le nom générique de skirt dance, qui affriolait le public en révélant chevilles (oh là là !) et dessous froufroutants. N’oublions pas, toujours dans cette seconde moitié du XIXe siècle, les actrices-danseuses revêtues de scandaleux fleshings, sortes de combinaisons moulantes intégrales qui révélaient aux badauds ébaubis les courbes féminines habituellement dissimulées sous de multiples vêtements, corsetées, bref, domptées. So shocking! Jessica Glasscock examine les liens entre le vaudeville (attention, là encore, c’est le vaudeville américain, un art théâtral qui n’a rien à voir avec le vaudeville de Feydeau ! c’est pourquoi je préfère employer l’italique pour signaler l’emploi du terme en anglais) et le burlesque, réputé plus vulgaire. Le premier était destiné aux familles, il restait relativement respectable, le second, populaire, s’adressait plutôt à ces messieurs et aux femmes de petite vertu.

Affiche pour la revue de Florenz Ziegfeld Jr, Follies of 1910, New York, 1910.

L’autrice suit leur évolution, leur transformation, et les formes qui en naissent en intégrant sans cesse, au fil des modes, d’autres types de spectacles, comme la danse égyptienne ou les danses extrême-orientales, découvertes notamment lors des expositions universelles du tournant du siècle et qui suscitèrent aussitôt l’engouement du public – et l’horreur des défenseurs de la vertu. Ruth St. Denis, par exemple, explora cet art nouveau dans sa pratique de la danse moderne, saluée par la haute société, contrairement au burlesque. Une autre de leurs métamorphoses conduit à l’invention des revues proposées dans les cabarets puis les théâtres des années 1900-1910, notamment par le génial promoteur du genre, Florenz Ziegfeld Jr, qui fit d’Anna Held la première Ziegfeld Girl et créa un univers fantasmatique, glamour, promis à une longue postérité (les amateurs du genre penseront notamment aux divers films de l’âge d’or hollywoodien qui s’inspirent de Ziegfeld et de ses spectacles).

Glasscock poursuit l’histoire en expliquant comment les Minsky, dans l’entre-deux-guerres, ont à leur tour transformé les revues extravagantes (désormais trop onéreuses – la crise frappe le pays à compter de 1929) en numéros de burlesque de haut vol. C’est aux Minsky et à leur attaché de presse qu’on doit le terme strip-tease (ils l’écrivent ainsi, avec trait d’union, ce qui, en anglais, met l’accent sur la double dimension de cet art : dénuder (strip) et aguicher, exciter (tease). Parmi les danseuses passées sur les planches des Minsky, Ann Corio et Gypsy Rose Lee, pour ne citer qu’elles, s’élèvent au rang de stars nationales en créant chacune leur style, et parviennent à obtenir une forme de reconnaissance de leur art. La seconde obtient même qu’on crée un nom pour désigner sa profession et lui conférer davantage de dignité : ecdysiaste.

Photographie dédicacée de Gypsy Rose Lee, années 1940.

Le burlesque est cependant rattrapé par la morale et en 1937, une loi chasse les artistes burlesques et autres ecdysiastes des grandes scènes de Broadway, où elles régnaient sans partage. C’est l’air du temps : rappelons que trois ans auparavant, le code Hays a été instauré pour contrôler (entendez : moraliser) la production cinématographique ; après le déchaînement licencieux des années 1920, le tour de vis moral est général dans la société américaine. Voici venu le temps des spectacles itinérants, des carnivals et bientôt d’un nouveau lieu : le nightclub. Pour contourner la prohibition du burlesque, les Follies et revues reprennent le flambeau dans les années 1940, avant de décliner de nouveau (l’histoire de ces spectacles est un éternel recommencement !) et d’être supplantées, dans les années 1950, par le strip-tease à proprement parler. Il connaît durant cette décennie son âge d’or avec des stars nationales comme Blaze Starr, Lili St. Cyr ou Tempest Storm. Les années 1960 sonnent le glas de ce genre : les mentalités ont changé, le public veut autre chose. Le strip-tease déchoit, se mue en une forme à peine dissimulée de travail du sexe. Le rêve n’est plus de mise, le porno est passé par là. Du striptease, il ne reste plus que le strip, et dans les années 1980, on semble avoir touché le fond.

Affiche promotionnelle pour Love Moods, de Lilian Hunt, 1952. Ce court métrage présente un des numéros de Lili St. Cyr.

Dans le livre, les rapports du strip-tease avec la morale, la censure, la presse, la culture populaire sont évoqués pour chaque période. Ainsi, à travers l’art de ces femmes et son usage économique par les hommes, c’est toute une société qui se révèle dans son évolution et ses mouvements de balancier entre morale et libération. De la danseuse de l’époque victorienne à la strip-teaseuse des années 1950, il y a une évolution continue et cohérente qui accompagne celle de la société. Les goûts changent, la perception de ce qui est provocant, acceptable, artistique, évolue, mais une chose demeure : l’attrait pour le corps féminin et une forme d’érotisme dont on tire profit. Depuis deux ou trois décennies, la roue a encore tourné et le burlesque a connu une renaissance, comme je l’écrivais au début de cette critique. Le déferlement pornographique et l’omniprésence de la nudité dans nos sociétés occidentales n’ont pas eu raison de l’art des strip-teaseuses, disons plutôt, des effeuilleuses, pour les distinguer des strippers de club. On peut même raisonnablement penser que la pornographie a nourri ce renouveau par réaction féministe. Dans le burlesque ou le néo-burlesque, en effet, la femme célèbre sa propre féminité, joue avec son sex-appeal, assume son pouvoir de séduction. Ce n’est pas pour rien que les spectacles des artistes contemporaines attirent souvent plus de femmes que d’hommes ! La longue histoire du strip-tease est loin d’être terminée.

Généalogie d’un art

Ressacs, de Clarisse Griffon du Bellay,
éd. Maurice Nadeau, coll. À vif, 2024

J’ai lu ce livre et le lendemain, je l’ai relu.

Sa puissance et son écriture m’ont enthousiasmée.

Évidemment, le sujet avait tout pour me plaire : une descendante d’un des rescapés du radeau de La Méduse écrit sur cet héritage particulier et ses effets sur sa famille et elle-même. Elle tisse pour ce faire une toile où se croisent les fils de l’histoire, de l’art, du devoir et du vécu. Ce que je ne pouvais en revanche deviner avant d’entamer ma lecture, c’est à quel point les réflexions et les émotions qu’elle dévoile au fil des mots entreraient en parfaite résonance avec moi.

Je n’ai pas la chance de porter un nom extraordinaire (Griffon du Bellay, n’est-ce pas divin ?), ni de connaître mes ancêtres, ni d’avoir hérité de quoi que ce soit, sur les plans matériel et historique. Je ne viens pas d’un milieu qu’on peut dire privilégié, mais prolétaire. Bref, sur le papier, l’univers de l’autrice et le mien sont fort éloignés. Pourtant, en lisant Ressacs, j’ai eu l’impression de rencontrer une âme sœur. C’était inattendu et troublant. Sans doute ne serai-je pas la seule à éprouver ce sentiment, par exemple en lisant ce passage, au début du livre [ce qui est en italique correspond à des écrits de jeunesse que Clarisse Griffon du Bellay insère dans son récit] :

C’est une chose tellement absurde d’être si jeune et de se sentir si proche de la mort, à en être déjà pétrifiée. Cette impression morbide a commencé à se graver en moi. Je me sens sur le fil. Instabilité générale. Et cette solitude.

J’ai descendu du grenier un carton entier contenant des cahiers et des carnets de croquis de tous formats. Les grands cahiers, qui voudraient être des journaux, ne sont toujours qu’entamés. Je n’ai jamais été régulière avec l’écriture. J’ai des envies soudaines, que je poursuis un moment. Lorsque je reprends, quelques mois ou quelques années plus tard, je commence un nouveau cahier, comme pour rompre, signifier un nouveau départ. Il manque tant de tournants.

J’aurais pu écrire chacun de ces mots.

Mais revenons à l’ouvrage, et à son titre, d’abord, dont on mesure au fil de la lecture à quel point il est parfait : il évoque à la fois la mer, bien sûr, lieu du drame primordial et lieu de hantise personnelle de l’autrice, mais aussi ces incessants mouvements de la mémoire familiale et autres ressassements de qui sonde le passé et sa propre psyché.

De ce texte profondément autobiographique, on perçoit d’emblée la sincérité. Les phrases sont souvent courtes, parfois non verbales, modernes en somme, et on remarque une manière singulière d’user de certains termes. Quelques expressions strictement contemporaines m’ont fait froncer le sourcil, notamment l’épouvantable « échanger » employé de manière intransitive pour dire « discuter, parler », que je ne m’attendais pas à trouver dans un texte d’une telle qualité (hélas, il est donc partout, malgré son caractère fautif !), mais dans l’ensemble, le style de l’autrice m’a séduite, tant il semble traduire un être réel, une personnalité.

Ressacs est également le récit d’une tragédie, celle vécue par Joseph Jean Baptiste Alexandre Griffon du Bellay, vingt-huit ans, qui se trouva, à la suite d’un concours de circonstances, au mauvais endroit au mauvais moment, à savoir sur La Méduse, puis, suite au naufrage, sur le radeau demeuré si tristement célèbre, ne serait-ce que par le tableau de Géricault. Il survécut, l’un des quinze sur les cent cinquante hommes initialement massés sur le radeau, et – voilà l’origine de notre livre – il prit soin d’annoter (pour lui-même ? pour ses descendants ? pour la postérité ?) le récit que deux autres survivants, Corréard et Savigny, publièrent, et dont il acquit un exemplaire de la seconde édition (1818). [L’édition de 1817 est accessible sur Gallica, si vous êtes curieux de découvrir ce récit.] Comme le rappelle l’autrice, le naufrage de la frégate fut plus qu’un simple fait divers à l’époque. Outre le nombre de morts, le choc de la révélation de l’anthropophagie, ce fut la source d’une polémique politique dont nous avons tout oublié aujourd’hui, mais qui devait peser sur les quelques survivants, en plus de leur traumatisme psychologique, largement tu. L’autrice rapporte, en plusieurs séquences entrelacées avec ses réflexions autobiographiques, le récit des événements tel que les historiens ont pu le reconstituer. Elle peint avec talent les massacres successifs organisés pour permettre la survie de quelques-uns (surprise, surprise : les personnes les plus importantes par le nom ou le statut ; oui, même dans une situation catastrophique et absolument anormale, les inégalités sociales perdurent), la transgression rationalisée du tabou de la consommation de chair humaine, dans un même but de survie. Elle dit aussi la folie suicidaire de ceux qui n’ont pu supporter la tension permanente, la peur, le désespoir. Sa façon de narrer et commenter avec justesse le sort des naufragés suffirait en soi à justifier la lecture de ce volume. C’est une épure de cauchemar, empathique, sans complaisance morbide. Dans une certaine double page, j’ai même cru percevoir, dans la disposition des phrases brèves, des blancs typographiques, des mouvements du texte, le tableau du radeau à demi submergé et des survivants tentant de résister aux vagues ! Impression très subjective, j’en conviens, mais qui m’a persuadée de l’excellence de la description.

Le livre annoté par l’ancêtre fut transmis de fils aîné en fils aîné (noblesse, quand tu nous tiens) et entouré d’un secret dont l’autrice analyse les ressorts – entre autres, la volonté de protéger le nom de la famille, la mémoire de l’aïeul, et de respecter la volonté du père, une génération après l’autre. C’est que, ces annotations n’étaient pas anodines ; le rescapé y disait ce qu’il avait fait et vécu. Corrigeait, en quelque sorte, le récit publié, fortement arrangé par ses auteurs. Ce secret de famille qui a commencé à être éventé par le grand-père de l’autrice achève de l’être par elle, à travers ses œuvres plastiques d’abord, et ce récit surtout. Pourquoi ? Parce que cette histoire, connue par bribes dès l’enfance, et le silence qui l’entoure ont eu des répercussions profondes sur Clarisse Griffon du Bellay. Elle explique combien sa démarche littéraire est en soi une tentative d’émancipation par rapport aux siens et de libération, porteuse de joie et de nécessité tout à la fois. Elle aborde aussi les effets de ses tentatives de révélation du secret familial, qui, par définition, ne lui appartient pas en propre, en particulier sur sa relation avec son père.

Cette analyse se combine à celle de la genèse de ses créations tant plastiques que littéraire (ce livre), nées, de toute évidence, de cette mémoire inscrite dans la chair et le sang malgré le non-dit omniprésent. On serait tentée ici d’invoquer le concept de transmission transgénérationnelle. Clarisse Griffon du Bellay est devenue sculptrice sur bois, et son travail semble répondre à une exigence cathartique, notamment quand, très jeune, elle réalise son radeau. L’épreuve physique et mentale que représenta ce moment créatif est exprimée de façon poignante et touche en plein cœur – en pleine viande, pour reprendre un mot très présent dans cette partie du livre. L’art apparaît comme l’exutoire, la solution vitale pour tenter de vaincre les angoisses, cauchemars et autres blocages.

L’autrice prête à son aïeul ce même sentiment de nécessité impérieuse, comme pour mieux nouer un lien avec lui :

On ne sait rien de sa vie intérieure. Ce qu’on sait c’est ce geste d’écrire. Cette nécessité d’écrire.

Tout est dans ce livre.

Et dans le fait de l’avoir laissé.

On peut penser ici aux écrits de l’extrême, à tous les témoignages laissés par ceux qui se trouvaient dans des conditions telles que l’écrit ou le dessin devenaient un moyen de survie mentale. L’autrice écrit encore :

Je l’imagine écrire dans une solitude fondamentale.

Les marges offrent un refuge hors du monde, hors du temps, à sa parole empêchée.

Empêchée par l’époque.

Empêchée par lui-même.

Par la probable certitude de ne pouvoir partager cela avec aucun être humain.

Inscrire quelque part le plus inavouable.

Le récit se clôt sur l’achèvement de sa propre rédaction. Un livre pour un autre… La boucle pourrait sembler bouclée. Elle ne l’est pas vraiment, mais le sentiment d’avoir accompli quelque chose est là, indéniable, concrétisé dans le livre :

Les mots se sont déposés partout.

Ils sont entrés en résonance, révélant la trame qui me constitue. Je peux désormais libérer de moi le son de mon ancêtre. Restituer à l’histoire collective ce que j’ai toujours pensé lui devoir.

Je contemple ce livre comme une sculpture qui se termine.

Antoni Campañà, entre guerre et art

Antoni Campañà. Icônes cachées, les images méconnues de la guerre d’Espagne (1936-1939), d’Arnau Gonzàlez i Vilalta, Toni Monné Campañà et Plàcid Garcia-Planas, Hazan / Ville de Montpellier, 2023

J’ai, il y a quelques années, croisé par hasard les clichés d’Antoni Campañà (1906-1989) au musée national d’Art de Catalogne, à Barcelone. M’avaient alors particulièrement frappée ceux présentant des cadavres de religieuses dans leur cercueil dressés à l’entrée de quelque église durant la guerre civile. J’ai ensuite oublié le nom de cet artiste, jusqu’à tomber sur ce livre, publié à l’occasion d’une exposition présentée au Pavillon Populaire à Montpellier jusqu’au 10 décembre 2023 (infos ICI).

Antoni Campañà, anarchiste et catholique, soldat républicain durant la guerre civile, a échappé à l’épuration en 1939 grâce à ses contacts dans le camp franquiste, victorieux. Il a ensuite mené toute sa carrière en Espagne, et n’a jamais exploité le travail photographique accompli en Catalogne durant les années de guerre civile. Peut-être souhaitait-il enfouir les témoins photographiques de cette période traumatisante ; sans doute aussi voulait-il éviter toute récupération politique de son travail. Les clichés furent ainsi tout bonnement oubliés, jusqu’à ce que, en 2018, près de 5 000 photographies soient retrouvées. Elles dormaient dans deux boîtes rouges entreposées dans le garage de la maison familiale des Campañà, promise à la destruction.

Ce que l’on a découvert alors, c’est une démarche originale, très différente de celle d’un reporter de guerre engagé comme Robert Capa, par exemple. Quoique républicain, le jeune Campañà (rappelons qu’il a trente ans en 1936) semble en effet s’être attaché à documenter les événements auxquels il assistait, jour après jour, sans chercher à prendre parti ni à faire œuvre de propagande. Il en résulte un témoignage nuancé, qui, s’il montre indéniablement l’horreur de la guerre à travers les destructions et les morts qu’elle entraîne, paraît surtout voué à montrer les hommes et les femmes en lutte, leurs actes, leurs croyances, leur résistance face au chaos. L’échantillon rassemblé dans ce volume révèle aussi une profonde attention à la dimension esthétique : l’artiste cherche des angles inédits, recourt à des cadrages audacieux, joue de la contre-plongée, favorise les diagonales qui déstabilisent le regard…

Des barricades mises en place en juillet 1936 suite au coup d’État militaire contre le gouvernement républicain fraîchement élu jusqu’à la Retirada, cet exil de centaines de milliers de républicains qui franchissent la frontière entre Portbou et Cerbère en1939, Campañà photographie tout. Il documente ainsi la vie quotidienne des Catalans pendant trois années de guerre civile : défilés enthousiastes des forces de gauche, destruction des églises par les militants anarchistes, vues du front d’Aragon, pas de l’oie des franquistes flanqués de leurs alliés nazis et fascistes, files d’attente pour acheter du tabac ou de la nourriture, familles fouillant les décombres suite aux bombardements… Il montre, parfois, les mises en scène politiques orchestrées par les deux camps, et réalise de magnifiques portraits, dont certains peuvent être assimilés à de véritables icônes, comme ce cliché de la milicienne anarchiste Anita Garbín dressée sur une barricade, le poing levé et le sourire aux lèvres. Le livre évoque d’ailleurs, rapidement, la diffusion de certaines photographies dans divers titres de presse de l’époque, et leur usage, parfois détourné. Ainsi du beau portrait d’une réfugiée venue de Malaga en février 1937, sorte de Madone à l’Enfant contemporaine.

Comportant peu de textes et faisant la part belle aux illustrations, ce catalogue donne envie de voir davantage de ces photographies miraculeusement retrouvées, qui content l’histoire dramatique d’une guerre civile dont les cicatrices ont marqué durablement la société espagnole.

Des hommes et des films

Les Hommes-objets au cinéma, de Laurent Jullier et Jean-Marc Leveratto, Armand Colin, 2009

Cherchant un livre sur Internet, je suis tombée sur cet autre titre, paru en 2009 et qui curieusement m’avait échappé à l’époque. Ce livre broché d’un format modeste est une petite merveille : sans érudition lassante ni ton pontifiant, il examine la construction et la déconstruction de la virilité au cinéma, des années 1920 à 2000, en étroite relation avec les changements sociétaux, que le septième art suit et promeut tout à la fois.

Le propos, étayé sur des exemples variés essentiellement tirés du cinéma américain, est énoncé avec humour bien souvent et très richement illustré. Des amants du muet, l’œil de velours souligné de khôl, au dur à cuire des années 1940-1950, des sensitive young men (SYM) de l’après-guerre aux adeptes du culturisme des années 1980, le cinéma a fait des acteurs de véritables objets, au sens premier du terme, proposés au regard (et au désir) des hommes et des femmes. Ils ont été invités à jouer, représenter la virilité et la masculinité autant que les femmes devaient incarner les critères de la féminité.

Que le corps soit de nos jours un objet de consommation, nul ne peut le nier ; c’est d’ailleurs de plus en plus assumé, notamment dans le domaine cinématographique ou publicitaire. Mais ce que ce livre montre bien, c’est que le phénomène n’est pas nouveau. Les hommes-objets sont présents sur le grand écran depuis l’origine ou presque.

Qu’est-ce qu’un homme-objet, me direz-vous ?

« C’est un homme qui retourne la condition humaine telle que l’existentialisme la concevait. ‟J’existe mon corps, disait Jean-Paul Sartre : telle est sa première dimension d’être.” Eh bien, l’homme-objet, son corps l’existe. Son enveloppe le définit, ses muscles l’attestent, son menton le pose là. […] L’homme-objet a arrêté les frais philosophiques. Il livre la marchandise, il se repose en paix : son corps parle pour lui. »

Prenez Marlon Brando dans Un tramway nommé désir (A Streetcar Named Desire, 1951). Elia Kazan use et abuse de sa présence animale, de sa musculature souple et de son indéniable charge érotique pour incarner le personnage sans qu’aucun mot soit nécessaire. Sa façon de se mouvoir, ses gestes, ses vêtements créent une fascination qui convient au personnage, bien entendu, vu le rôle qui lui est dévolu dans l’œuvre de Tennessee Williams, mais qui agit aussi fortement sur les spectateurs.

Clark Gable et Claudette Colbert dans NewYork-Miami (It Happened One Night), de Frank Capra (1934)

Les auteurs du livre font commencer l’histoire moderne de l’homme-objet avec Eugen Sandow, qui est traditionnellement considéré comme le père du culturisme. Avec lui s’affirment le culte du corps et son usage, si l’on peut dire, pour séduire, réussir, s’affirmer dans la vie. Ensuite, au cinéma, les types d’hommes-objets évoluent selon les modes (que les films contribuent à faire et défaire, d’ailleurs). Au séducteur pseudo-oriental des films muets (Rudolph Valentino dans Le Cheikh, Douglas Fairbanks dans Le voleur de Bagdad) succèdent, dans les années 1930, le French lover élégant et vaguement canaille à la Charles Boyer (ici, la voix et l’accent jouent un rôle majeur dans la panoplie de l’homme-objet) ou le he-man typiquement américain façon Clark Gable, qui séduit aussi bien le public masculin (par sa gouaille, son charisme) que les femmes. Après-guerre, peut-être pour contrebalancer le mouvement d’émancipation des femmes et revenir à un modèle rassurant (pour les hommes en tout cas), c’est le mâle mâle, entendez l’homme « qui en a », qui est valorisé par les studios. Les hommes, « les vrais », sont musclés (pour que nul n’en doute, les torses dénudés se multiplient à l’écran, et William Holden devient le chest-man par excellence, de films en photos promotionnelles), héroïques, sûrs d’eux. Ils sont proposés comme modèles aux autres hommes. Comme l’écrit en effet le sociologue Michael Kimmel, « l’homme américain définit moins sa masculinité par ses relations avec les femmes que par ses relations avec ses pairs » (Manhood in America: A Cultural History). C’est sans doute ce qui explique que les spectateurs préfèrent s’identifier à ce modèle qu’à un Louis Jourdan, par exemple, qui certes séduit les femmes, mais est jugé trop fade ou féminin. Pas assez viril, en somme, quand bien même ce serait un aimant à femmes. L’homme-objet de l’époque, c’est aussi Yul Brynner, qui a le statut particulier de pin-up masculine, si l’on ose dire, au sens où les studios en font une sorte de produit sexuel à destination des ménagères. Là encore, ce modèle n’est pas prisé par les hommes.

Cependant, la société change, et dans les années 1950 et 1960, le modèle viril traditionnel, que continue de véhiculer par exemple Sean Connery, est de plus en plus concurrencé par des jeunes gens plus ambivalents, qui, en plus d’un physique avantageux, n’hésitent pas à montrer leurs failles, leur fragilité (ce qui est jugé féminin). James Dean, Montgomery Clift, Alain Delon sont des représentants de cette nouvelle tendance au rayon des hommes-objets. Ils brouillent les repères. Les années 1970 accentuent cette confusion et s’attachent à déconstruire la masculinité, allant parfois jusqu’à inverser les rôles. Cela ne manque pas de provoquer un retour de balancier. « Comme d’habitude, il y a des compensations : plus la modernité déconstruit à certains endroits, plus la nostalgie radicalise des formes anciennes menacées » (p. 76). C’est le retour du chest-man sous sa forme hypertrophiée, tous biceps dehors, comme pour prémunir l’homme contre « le danger » représenté par les minets et autres intellectuels chétifs à la mode. Les films d’action suintant la testostérone se multiplient dans les années 1980, et l’homme-objet revient sous sa forme la plus basique. On n’en est pas vraiment sortis, même si le cinéma, depuis les années 2000, offre des visages et corps variés à notre appétit.

Sylvester Stallone dans Rambo (1982)

Les auteurs terminent leur étude par l’évocation de l’entrée de la porn star Rocco Siffredi dans le cinéma d’auteur, insistant sur le fait que, comme jamais peut-être, l’homme-objet valorisé dans sa dimension sexuelle jouit de l’attention complète et première du spectateur parce que son corps fascine. C’est par le plaisir (supposé) qu’il offre aux sens du spectateur qu’il s’impose.

Cette lecture stimulante nous invite à mettre en question nos goûts, nos désirs, notre conception de la virilité, et à réfléchir aux liens qu’ils entretiennent avec des productions cinématographiques reflétant des théories et des tendances socioculturelles dont nous ne sommes pas toujours conscients. Bien joué !

Voyage à travers l’URSS de l’après-guerre

John Steinbeck, Journal russe, photographies de Robert Capa, Gallimard, 2022

En 1947, John Steinbeck (1902-1968) et Robert Capa (1913-1954) décident d’entreprendre un voyage en URSS. Les romans du premier, notamment Les Raisins de la colère, ont fait de lui un héraut du peuple aux yeux des socialistes, communistes et autres sympathisants de gauche. Le très engagé Capa, de son côté, a réalisé des clichés de tous les conflits majeurs depuis les années 1930. Sans doute cela leur a-t-il ouvert les portes de l’URSS de Staline. Leur but : mieux comprendre la population, sa vie quotidienne, ses aspirations. Pénétrer la réalité de la vie des habitants, sans se soucier de politique ou de diplomatie. Steinbeck écrit à de multiples reprises dans ce journal qu’il ne fait que rapporter ce qu’il a pu voir, sans prétendre détenir la vérité sur l’ensemble du pays. Il n’est pas naïf, même si certaines phrases peuvent sembler l’être (ou bien sommes-nous trop cyniques ?).

Le charme de ce récit de voyage tient dans cette ligne apolitique et humaniste. À la différence de la plupart des témoignages concernant l’URSS, il ne s’agit pas ici d’énoncer des idées, de prendre parti, de dénoncer ou de faire de la propagande. On perçoit sous la plume de l’écrivain américain et dans les photographies de son ami hongrois une authentique tentative de saisir le réel et de restituer une expérience subjective. Beaucoup de descriptions, d’observations prosaïques, beaucoup de portraits animés des personnes qu’ils rencontrent, dont ils sont les hôtes. On a le sentiment émouvant de revivre une époque révolue, de toucher une vérité que les livres d’histoire ignorent bien souvent.

Joliment édité et mis en page, ce Journal russe offre un exemple d’intelligence et de simplicité, sans prétention ni langue de bois. Avec humour parfois, sympathie et curiosité toujours, Steinbeck et Capa racontent Moscou à l’heure de son 800e anniversaire, l’Ukraine en pleine reconstruction (l’auteur insiste, à juste titre, sur le fait que ce pays, comme nombre d’endroits en URSS, notamment Stalingrad, autre étape de leur voyage, ont été complètement détruits par les troupes allemandes), la Géorgie, terre d’abondance et de gaieté… Ils embrassent aussi bien le monde des fermes collectives que les institutions soviétiques, le personnel des ambassades étrangères que les us et coutumes de ces Russes si fantasmés par les Américains de l’époque.

C’est un peuple au visage divers qui jaillit de ces pages, plus qu’un État (même si celui-ci est évidemment omniprésent, surtout dans les grandes villes, à travers les musées et le culte de la personnalité de Staline). Steinbeck et Capa ont ainsi rempli la mission qu’ils s’étaient fixée, et, ce faisant, ont légué à la postérité un monument universel à la gloire de l’humanité.

Poésie de la pensée insurrectionnelle

Que la vida siga siendo tu taller de poesía

Que la vie soit toujours ton atelier de poésie

Mario Santiago Papasquiaro, Conseils d’1 disciple de Marx à 1 fan d’Heidegger, Allia, 2023

Mario Santiago Papasquiero (1953-1998), camarade de Roberto Bolaño, m’était parfaitement inconnu.

Errant parmi les rayons d’une librairie, en quête d’une rencontre livresque à défaut d’un être de chair et de sang, je tombai sur ce petit volume (parfait comme toujours avec les éditions Allia), dont j’avais repéré le titre en début d’année. C’était le texte dont j’avais besoin pour retrouver le sens de l’existence, ou plutôt de la souffrance, en ces jours sombres.

Lire ces Conseils d’1 disciple de Marx à 1 fan d’Heidegger (poème composé en 1975), c’est s’abstraire de notre monde contemporain des plus navrants pour retrouver le cœur flambant de la révolte pure et totale. Donné en espagnol et dans la traduction de Samuel Monsalve, ce texte poétique aux faux airs de manifeste fait exploser les limites étouffantes de notre pensée rabougrie par le quotidien et offre l’expérience d’un kaléidoscope qui exprime à merveille le vécu subjectif. Quel enchantement dans la langue de MSP (ainsi qu’il se désignait lui-même), quelle force aussi !

La Realidad & el Deseo se revuelcan / se destazan
se desparraman 1 sobre otra
como nunca lo harían en 1 poema de Cernuda

La Réalité & le Désir se culbutent / se dépècent
se répandent l’1 sur l’autre
comme jaja dans un poème de Cernuda

(Pourquoi « jaja » ? J’aimerais ici interroger le traducteur.)

Pauvreté et rêves, lutte des classes jamais finie et quête existentielle, la ville, les corps, la nature, l’espoir, l’amour, Ernesto Che Guevara et Wilhelm Reich, Artaud et Rosa Luxembourg, une bourgeoise choucroutée et un vagabond, Giotto, Van Gogh, le Mexique et le monde, tout cela et tellement plus au fil d’une déambulation mentale qui chante une rébellion viscérale à toute chose étendue.

Il faut se laisser soulever par les mots et les sonorités, se laisser traverser par cette poésie en quête de sens historique. C’est beau comme la jeunesse mexicaine d’antan, portée par les idéaux révolutionnaires qui n’avaient pas encore succombé, beau comme le réel transfiguré et dénudé; beau, farouche et violent, mais jamais dénué d’humanité ni de tendresse.

Mario Santiago Papasquiaro, le « terroriste culturel », est l’ami que je voudrais.

« Si Roberto Bolaño a représenté le cœur infraréaliste, aurait dit un ancien membre du groupe, Mario Santiago Papasquiaro le tenait dans sa main sanglante. » (Extrait de la postface de Samuel Monsalve)

Desde luego que no eres el único
frente al que el paraguas oxidado de la vida
                no quiere desplegar sus alas
no eres el único al que el mundo le parece
– en 1 momento pesimista –
1 ghetto sin puentes ni caminos

Bien sûr tu n’es pas le seul
pour qui le parapluie rouillé de la vie
                refuse de déployer ses ailes
tu n’es pas le seul pour qui le monde ressemble
– dans 1 moment pessimiste –
à 1 ghetto sans ponts sans issues

Découvrir Laure Albin Guillot en 60 photos

Laure Albin Guillot (1879-1962) bénéficie sans doute, en ce XXIe siècle commençant, de l’intérêt renouvelé porté aux femmes artistes. Longtemps oubliée, elle est revenue sur le devant de la scène en 2013 à l’occasion d’une grande rétrospective proposée au Jeu de paume. Il était temps ! Le talent de cette photographe est immense, et la variété de son œuvre, extraordinaire. La galerie Roger-Viollet, douillettement nichée rue de Seine, à Paris, présente depuis le mois d’octobre une soixantaine de tirages qui offrent un aperçu des directions prises par Laure Albin Guillot au cours de sa carrière (1922-1954). Il est même possible d’acquérir des tirages de ces œuvres.

Microphotographie avec procédé autochrome. Vers 1929. © Laure Albin Guillot / Roger-Viollet

Issue de la bourgeoisie parisienne, mariée très jeune à Albin Guillot (elle décidera, une fois devenue photographe professionnelle, d’accoler le prénom de son mari à son nom de famille), Laure est d’abord une musicienne talentueuse, comme son époux. Elle ne devient cependant pas concertiste, et demeure longtemps dans l’ombre de son mari. Lorsque la santé de ce dernier commence à se dégrader, à l’aube des années 1920, la quadragénaire doit subvenir aux besoins du couple. C’est alors qu’elle se lance dans une carrière de photographe professionnelle. Signant ses clichés de l’acronyme LAG, elle réalise des photos vendues à des revues de mode, des portraits mondains, et expérimente en parallèle les possibilités de l’outil photographique. Elle publie en 1931 Micrographie décorative, un recueil de clichés abstraits réalisés à partir de productions microscopiques (les recherches scientifiques de son mari ont été sur ce point une source d’inspiration) qui lui vaut d’être louée et médiatisée.

Laure Albin Guillot, qui a de l’entregent, fréquente et photographie les artistes de son temps (on voit ici des portraits de Louis Jouvet, Jean Cocteau, par exemple, ou encore les mains hypnotiques du peintre Han Harloff), publie dans les magazines et revues (haute couture, maquillage, parfums…), réalise des reportages, des décors, des illustrations (entre autres, pour des livres d’Henry de Montherlant ou Paul Valéry), expose dans les galeries d’art, notamment ses nus magnifiques, soigneusement construits et millimétrés, ou ses créations qui flirtent avec le surréalisme (comme Jeux d’ombres faits par une lame de rasoir, sans date). Sa production est impressionnante par sa variété et sa profusion. Célébrée, elle est la photographe des années 1930, et domine le secteur jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Sa production artistique se redouble d’une réflexion théorique sur les enjeux de l’image, tant photographique que cinématographique, sa production et sa réception, notamment ses usages publicitaires ou patrimoniaux et mémoriels. Laure Albin Guillot occupe des postes prestigieux (directrice des archives photographiques des Beaux-Arts, directrice de la Cinémathèque nationale) en parallèle de son activité libérale. Tout semble lui réussir.

Jeux d’ombres faits par une lame de rasoir. Vers 1930-1940. © Laure Albin Guillot / Roger-Viollet

Dans l’après-guerre cependant, son inventivité semble s’amoindrir, et surtout son style ne correspond plus à ce qu’attendent le public et la critique. Sa notoriété décroît, les commandes également. Elle finit sa vie dans un relatif dénuement, oubliée de presque tous. Fable éternelle de la valse des goûts et de la mémoire courte…

Étude de nu féminin. France, 1941. © Laure Albin Guillot / Roger-Viollet

Exposition à découvrir jusqu’au 21 janvier 2023, galerie Roger-Viollet, 6 rue de Seine, 75006 Paris. Les infos sont ICI.

Catalogue d’exposition : Laure Albin Guillot, l’élégance du regard, Paris, Roger-Viollet, 2022, 76 p. (bilingue français-anglais)