Voyage à travers l’URSS de l’après-guerre

John Steinbeck, Journal russe, photographies de Robert Capa, Gallimard, 2022

En 1947, John Steinbeck (1902-1968) et Robert Capa (1913-1954) décident d’entreprendre un voyage en URSS. Les romans du premier, notamment Les Raisins de la colère, ont fait de lui un héraut du peuple aux yeux des socialistes, communistes et autres sympathisants de gauche. Le très engagé Capa, de son côté, a réalisé des clichés de tous les conflits majeurs depuis les années 1930. Sans doute cela leur a-t-il ouvert les portes de l’URSS de Staline. Leur but : mieux comprendre la population, sa vie quotidienne, ses aspirations. Pénétrer la réalité de la vie des habitants, sans se soucier de politique ou de diplomatie. Steinbeck écrit à de multiples reprises dans ce journal qu’il ne fait que rapporter ce qu’il a pu voir, sans prétendre détenir la vérité sur l’ensemble du pays. Il n’est pas naïf, même si certaines phrases peuvent sembler l’être (ou bien sommes-nous trop cyniques ?).

Le charme de ce récit de voyage tient dans cette ligne apolitique et humaniste. À la différence de la plupart des témoignages concernant l’URSS, il ne s’agit pas ici d’énoncer des idées, de prendre parti, de dénoncer ou de faire de la propagande. On perçoit sous la plume de l’écrivain américain et dans les photographies de son ami hongrois une authentique tentative de saisir le réel et de restituer une expérience subjective. Beaucoup de descriptions, d’observations prosaïques, beaucoup de portraits animés des personnes qu’ils rencontrent, dont ils sont les hôtes. On a le sentiment émouvant de revivre une époque révolue, de toucher une vérité que les livres d’histoire ignorent bien souvent.

Joliment édité et mis en page, ce Journal russe offre un exemple d’intelligence et de simplicité, sans prétention ni langue de bois. Avec humour parfois, sympathie et curiosité toujours, Steinbeck et Capa racontent Moscou à l’heure de son 800e anniversaire, l’Ukraine en pleine reconstruction (l’auteur insiste, à juste titre, sur le fait que ce pays, comme nombre d’endroits en URSS, notamment Stalingrad, autre étape de leur voyage, ont été complètement détruits par les troupes allemandes), la Géorgie, terre d’abondance et de gaieté… Ils embrassent aussi bien le monde des fermes collectives que les institutions soviétiques, le personnel des ambassades étrangères que les us et coutumes de ces Russes si fantasmés par les Américains de l’époque.

C’est un peuple au visage divers qui jaillit de ces pages, plus qu’un État (même si celui-ci est évidemment omniprésent, surtout dans les grandes villes, à travers les musées et le culte de la personnalité de Staline). Steinbeck et Capa ont ainsi rempli la mission qu’ils s’étaient fixée, et, ce faisant, ont légué à la postérité un monument universel à la gloire de l’humanité.

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