Rigaut à travers le patchwork de ses textes

Prestige de la démence ! Faire une chose qui soit complètement inutile — un geste pur de causes et d’effets. Jusqu’ici — comme ailleurs celui de la pesanteur — c’est le règne de l’utilité ; désormais par l’absurde je vais m’évader…

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Agence générale du suicide, par Jacques Rigaut, Paris, Éditions Sillage, 2018.

Je ne connaissais pas Jacques Rigaut (à peine l’avais-je croisé un jour, simple nom, au détour d’un article sur Drieu La Rochelle) avant d’être arrêtée, tandis que je flânais dans une librairie, par une couverture  au titre accrocheur : Agence générale du suicide.

Ce tout petit recueil publié par les éditions Sillage (oui, encore elles) n’est pas inédit. L’œuvre bref et cependant puissant de Jacques Rigaut (1898-1929) a déjà fait l’objet de plusieurs éditions, notamment par Pauvert, qui une fois encore avait su repérer l’écrivain comète. Rigaut fut le type même de l’homme tourmenté. Oisif fils de parents bourgeois, il fut dandy, cynique, toxicomane, vivant au-dessus de ses moyens (et aux crochets des autres) puis dans la misère. Ayant fait la guerre et l’expérience de l’anéantissement d’une civilisation et de la valeur de la vie, il traversa les années folles et participa de tous leurs excès, jusqu’à la chute, violente. Il fréquenta Breton, Drieu, Soupault, Tzara, entre autres, et influença les surréalistes sans jamais participer officiellement au mouvement. Des aphorismes de quelques mots aux récits de quelques pages, Rigaut pratique ce que l’on pourrait appeler l’écriture fragmentaire. Lui-même ne se prétendait pas écrivain, surtout pas auteur littéraire. Très jeune, il cessa même de publier ses textes (on retrouva les manuscrits après sa mort). Mais son écriture est un jet de vie et de pensée, un miroir (l’idée de miroir et de double ont une grande importance chez Rigaut, confinant à la folie). C’est aussi un jeu désabusé. Parfois, elle suscite le fantôme d’Artaud ; d’autres fois, elle évoque la noirceur lucide de Drieu La Rochelle, qui s’est d’ailleurs inspiré de Rigaut pour créer les personnages de La Valise vide, du Feu follet, et lui consacre le bref Adieu à Gonzague.

Dans cette pensée en roue libre qui nie parfois le sens (commun) pour dénuder impitoyablement la vérité des êtres et de l’existence, une obsession domine : le suicide. Le suicide et l’ennui :

Je ne me trouve pas en dehors de l’ennui. L’ennui, c’est la vérité, l’état pur.

Humour grinçant ou au contraire potache, froideur désinvolte, légèreté nonchalante irriguent ces textes qui, à leur façon, tracent le chemin jusqu’au point final d’une vie : le suicide à Châtenay-Malabry en novembre 1929 de cet homme singulier qu’on aurait aimé connaître.

Il y a des gens qui font de l’argent, d’autres de la neurasthénie, d’autres des enfants, il y a ceux qui font de l’esprit. Il y a ceux qui font l’amour, ceux qui font pitié.

Depuis le temps que je cherche à faire quelque chose ! Il n’y a rien à y faire : il n’y a rien à faire.