La matière et l’esprit : l’art fascinant de Dorte Mandrup

Ilulissat Icefjord Centre, Groenland. Dorte Mandrup. © Adam Mørk

Le Bicolore, plate-forme d’art contemporain de la Maison du Danemark, accueille jusqu’au 6 novembre une exposition consacrée au travail de l’architecte danoise Dorte Mandrup. On y découvre cinq projets de son cabinet résolument tourné vers le respect des écosystèmes et des populations tout à la fois. Deux de ces cinq projets existent déjà, les autres sont en cours de réalisation.

Les maquettes présentées, très artistiques, sont associées à des objets illustrant quelques-unes des sources d’inspiration de l’architecte : fragments de roche ou végétaux, ossements et plumages, coquillages, livres sur l’histoire du lieu ou sa population… autant de traces de l’attention portée à l’environnement naturel, culturel, historique et social. Des photographies grand format complètent la présentation, et permettent de placer chaque construction dans son contexte (généralement sublime !). Le visiteur peut aussi regarder une vidéo présentant le travail de Dorte Mandrup au Danemark et au Groenland, et en apprendre davantage sur le musée de l’Exil de Berlin. S’il le souhaite, il peut même s’immerger dans l’univers créatif de l’architecte par le biais d’un film à regarder avec un casque de réalité virtuelle.

Cinq projets, entre écologie, humanisme et poésie de la forme

The Whale, Norvège. Dorte Mandrup. © MIR

Imaginez une baleine, dont la queue majestueuse saluerait un paysage encore préservé, mais dont on sait aujourd’hui la fragilité. Une baleine magiquement pétrifiée, comme dans quelque conte nordique, dont on pourrait parcourir l’intérieur et l’extérieur, devenu chemin et point de vue ouvert sur la mer et les montagnes d’Andenes (Norvège), au nord du cercle arctique. Ce rêve se réalisera bientôt, dans un époustouflant projet poétique, esthétique, technique et éthique nommé The Whale. Lieu d’exposition et de rencontre, ce bâtiment aux formes organiques largement ouvert sur l’extérieur invitera à mieux connaître les baleines et à découvrir l’archipel des Vesterålen, afin de sensibiliser le public à leur protection.

Wadden Sea Centre, Danemark. Dorte Mandrup. © Adam Mørk

Le Wadden Sea Centre (Danemark), bâti dans une zone humide et marécageuse classée au patrimoine mondial de l’Unesco, illustre parfaitement ce souci constant de respect de l’environnement et du patrimoine local. Alliant innovation et tradition, il propose des bâtiments aux lignes épurées dont le toit de chaume s’inspire de techniques déjà connues des Vikings. Roseaux et bois, matériaux typiques du lieu, sont utilisés pour la construction et le revêtement extérieur, tandis que la géothermie et les panneaux solaires permettent de garantir la sobriété énergétique de ce lieu de vie et de culture qui invite à croire que les hommes et la nature peuvent coexister en harmonie. On peut toutefois se demander si, en attirant davantage de touristes dans ces zones déjà menacées par le changement climatique et l’activité humaine, les créations remarquables de Dorte Mandrup ne risquent pas, à leur tour, de contribuer à les fragiliser.

Ilulissat Icefjord Centre, Groenland. Vue intérieure. Dorte Mandrup. © Adam Mørk

Autre exemple réalisé d’un projet créant un lien fort entre les populations locales, l’environnement (encore une zone classée à l’Unesco) et l’édifice nouvellement implanté : l’Ilulissat Icefjord Centre, posé comme une aile de chouette des neiges sur la roche mère groenlandaise (la plus ancienne au monde !). Se fondant dans le paysage immaculé de l’hiver comme dans les couleurs de l’été, l’édifice gracieusement incurvé semble suspendu au-dessus du sol, grâce à une structure complexe dont l’aspect final est à la fois aérien (légèreté du bois et du verre) et aérodynamique. Voisin de la ville d’Ilulissat et ouvert sur l’immensité du paysage arctique, il joue un rôle touristique, culturel (c’est un lieu d’exposition et de recherche), pédagogique et social, puisqu’il est conçu comme un lieu de rencontre et de loisir pour les habitants. L’architecte insiste toujours sur la nécessaire adhésion des populations locales aux constructions qu’elle imagine. Elles doivent être des lieux de vie, au sens fort, et d’échange, entre humains et entre les hommes et leur environnement.

Trilateral Wadden Sea World Heritage Partnership Centre, Allemagne. Dorte Mandrup. © MIR

Les bâtiments jettent aussi des ponts entre le passé, le présent et l’avenir. C’est particulièrement sensible dans deux projets situés en Allemagne. Le premier, en préparation à Wilhelmshaven, en Basse-Saxe, englobe ainsi dans une structure de verre et d’acier un bunker de la Seconde Guerre mondiale. Abritant le Trilateral Wadden Sea World Heritage Partnership Center, cet édifice qui prend littéralement appui sur le passé (le bunker) offrira des espaces d’exposition, de réunion, de travail et des lieux de vie tout en minimisant son impact sur le terrain alentour, écosystème précieux que le site entend valoriser et faire connaître, comme son pendant danois. Le second projet est très différent par son emplacement : loin des sites naturels protégés, il se situe en plein cœur de Berlin. Lui aussi se fonde sur un vestige du passé, en l’occurrence, les ruines de la gare d’Anhalt. À l’époque de la république de Weimar, elle avait vu affluer les intellectuels et artistes attirés par l’effervescence berlinoise des années 1920, avant de devenir le triste point de départ des populations fuyant le nazisme, puis de convois de déportés. C’est là, très symboliquement, que s’érigera le musée de l’Exil, dont les courbes serviront d’écrin à l’arche principale de l’ancienne gare, auxquelles ses briques feront écho. Lieu de mémoire et de réflexion, il donnera corps à ces trajectoires douloureuses qui ont nourri et nourrissent encore nos sociétés.

Musée de l’Exil, Allemagne. Dorte Mandrup. © MIR

Place. Dorte Mandrup : architecture et paysage en symbiose. Jusqu’au 6 novembre 2022, au Bicolore / Maison du Danemark, 142 avenue des Champs-Élysées, 75008 Paris.

3 réflexions sur “La matière et l’esprit : l’art fascinant de Dorte Mandrup

  1. Moi qui suis vraiment plus centrée sur la littérature (et plus particulièrement les romans), je découvre avec plaisir ton blog et ses autres horizons culturels.
    Je n’avais pas du tout entendu parler de cet artiste et de son actualité et, encore une fois, je trouve que tes mots illustrent vraiment bien ses installations.

    • C’est gentil, cela me fait plaisir que mes articles puissent faire découvrir des artistes ! Je n’ai plus beaucoup de temps pour écrire, mais lire ce genre de commentaire m’incite à m’y remettre, fût-ce pour de brèves critiques.

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